Lettre de Madame de Sévigné adressée
à sa fille, inspirée par le passage des Dragons Audax Mons à Grignan, en
l’an de grâce deux mille un, le 14 juillet.
A
Grignan ce samedi 14 juillet 2001
Je
m’en vais vous conter la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la
plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante,
la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable,
la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus
commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’aujourd’hui, la plus
brillante, la plus digne d’envie, la plus comique, la plus agitée, la plus
excitante, la plus palpitante, en un mot la plus ahurissante ; enfin une chose
dont on ne trouve point d’exemple dans les siècles passés, et qui même
l’eût on trouvé, ne se serait point avéré comparable; une chose que l’on
ne peut croire à Paris, ni à Montélimart, Valence, Mons et encore moins à
Waterloo ; une chose qui fait crier gloire à presque tout le monde, et miséricorde
à quelques uns ; une chose qui comble de joie le bon peuple venu de loin
pour l’admirer ; une chose enfin qui débuta le lundi 8 juillet, pour se
terminer demain dimanche. Ceux qui l’auront vue croiront avoir rêvé .
Je ne puis me résoudre à vous la dire ; devinez la : je vous le
donne en trois, je vous le donne en cent, je vous le donne en mille. Jetez-vous
votre langue aux chiens ? Eh bien il faut donc vous la narrer.
Alors
que l’astre du jour culminait en cette douce après-midi, je me trouvais après
repas à contempler le parc par une fenêtre du château. Je vis apparaître en
un étrange équipage devinez qui, devinez quoi ? Madame de Coulanges dit :
voilà qui est bien difficile à deviner : est-ce une chasse à courre ?
Fi, ce n’est point de saison. Est-ce l’évêque de Lyon en visite, le pape
Clément d’Avignon ressuscité et sa mule ? Point du tout vous êtes bien dévote.
Vraiment nous sommes bien bêtes dites-vous, à n’en point douter, c’est le
cortège du mariage de Monsieur de Lauzun et de Mademoiselle. Que non, vous êtes
bien mondaine. Vous n’y êtes pas, il faut donc à la fin vous l’ expliquer
.
Je
me trouvais à contempler le parc, vous disais-je. Apparurent au loin en un
curieux équipage d’étranges créatures juchées sur de drôles de machines
telles que ni vous ni moi n’en avions jamais vu de pareilles. Vous connaissez
ma curiosité naturelle. Elle fut à ce point piquée au vif que je fis mander
mon cocher afin qu’il me déposât derechef sur la place du village pour
contempler ce manège. J’y vis une bande peu engageante de hobereaux poussiéreux,
suants, dégoulinants, malodorants , et dépourvus de pourpoints. Plusieurs
d’entre eux portaient un casque, comme s’ils partaient en guerre. L’un de
ces individus, fruste, déguenillé, mal rasé et mal dégrossi, au sourire
sarcastique et au regard ironique, m’apparut être leur commandant.
Espérant
découvrir sous ces dehors peu attirants une nature un peu plus amène, je me le
fis présenter. Rassemblant ses lointains souvenirs de civilités, Il me dit à
brûle pourpoint : « salut m’ belle, j’ m’appelle Patrick et j’
suis très honoré d’ vous rencontrer. J’ai entendu parler d’ vous quand
j’étais à l’école, mais étant donné que ça date de pas mal de temps,
j’ mexcuse si j’ai un peu oublié qui vous êtes. « Me méconnaître
à ce point, pensez ! Ces propos, vous le devinez, firent sur mon entourage
piètre impression. Pour ma part, trouvant je ne sais trop pour quelles raisons
ce bougre plutôt sympathique, quoi qu’un un peu rustre, j’entrepris de me
faire expliquer par le menu l’objet de la visite de cette horde de gueux en
notre Comté. Figurez-vous qu’ils en sont en leur sixième jour de voyage sur
leurs machines à deux roues, sur lesquelles ils trouvent Dieu sait comment équilibre.
Ils ont parcouru depuis Valence cent lieues par monts et vaux pour arriver
jusqu’ici. Ils proviennent du Comté de Hainaut, là où guerroie notre bon
Roy.
Les
effets de ces saltimbanques sont
transportés par un curieux fiacre. Imaginez un carrosse bleu, avançant à vive
allure, mû j’ignore par quelle diabolique machinerie, sans mules ni chevaux.
Il est guidé non par un cocher, mais par une accorte cochère, secondée
seulement d’une fluette assistante.
On
m’instruisit de ce que le chef de bande était en hospice, cloué au lit par
une vilaine fracture due à une chute aux causes obscures. Son remplaçant, -
quel homme ! - sorte d’hercule blond, à l’allure mâle et
impressionnante, mais à l’élocution passablement confuse, ponctuait
constamment ses propos par : « on n’vî nié « ,
interjection très en usage en son pays, paraît-il. Mettons sur le coup de l’émotion,
et de sa première rencontre avec une Marquise cette chose. Gageons que de
Marquises il ne dût point rencontrer souvent, fréquentant d’avantage les
soubrettes.
Il
me revint qu’un des membres de cette expédition serait percepteur en chef de
la gabelle de son Comté, tâche dans laquelle il excellerait, à ce qu’on dit.
Un
autre apprécierait particulièrement bons vins et bonne chère ; que voici
une manière de bien vivre, n’était-ce que ceci lui occasionnerait nuits agitées
et ronflements.
Quel
ne fut point mon étonnement de dénombrer dans la troupe deux personnes de
notre sexe, légères et court vêtues, l’une blonde, autant que
l’autre
est brune. Fine moustache et regard velouté , le compagnon de celle-ci
attira mon attention par sa civilité et son port altier, contrastant avec celui
de ses compagnons. Il profita d’une aubade jouée par les musiciens du château,
pour m’inviter très courtoisement à lui faire l’honneur de lui accorder
quelques danses. Et bien ma chère, je puis vous assurer que ce charmant
cavalier impromptu avait de fort belles manières et beaucoup de civilité. Maître
dans l’art des menuets, pavanes, sardanes, villanelles et fandangos, il les
dansait à la perfection, entraînant le bon peuple dans notre sillage . La fête
se poursuivit, par la grâce de cet homme aux si belles manières, bien plus
tard que de raison pour une dame de ma condition.
L’heure
s’avançait, je dus me résoudre à quitter cette joyeuse compagnie et afin
d’assister au lucernaire. Je commençais à fondre dans les bras de mon
danseur mondain, de plus en plus insistant. Je lui fis une ultime confidence :
« hélas Monsieur, de cire je suis , des humains ne fais plus partie ;
revenez me voir au musée Grévin . Poursuivons et concluons nos badineries
dans l’autre monde. »
Voilà
un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si
vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous,
que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si
enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison ;
nous en avons fait autant que vous.
Adieu, le site http : // www.damons.be vous fera voir si nous disons vrai on non. N’hésitez pas à y surfer de ma part, et saluez les bonnes gens de la bonne ville de Mons.